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07 Juil 2011, 17:23
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Super Nintendo
Xenogears. Evidemment, gigantesques spoilers dans tout ce qui suit. Mais bon, je parle de Xenogears, donc même en expliquant tout en détail vous ne comprendrez rien (et moi non plus).
A l'année prochaine, des bisous!
Je vais quand même commencer par une petite présentation Wikipédia parce qu’on ne parle pas de Shenmue ou de Silent Hill 2, et il se peut que certains d’entre vous ne connaissent rien d’autre du jeu que son nom. Donc, Xenogears : JRPG de chez Squaresoft sorti en 1998 sur PlayStation. Jamais sorti en Europe, réédité une seule fois sur le PSN américain au début des années 2010. Un cult classic par excellence : un jeu auquel personne n’a joué mais qui est toujours présenté comme « mythique » ou « légendaire » par les sites de JV qui en parlent une fois l’an. C’est le genre de jeu dont toutes les reviews contiennent à peu près les mêmes compliments vagues (« scénario génial », « personnages attachants », « bande-son sublime »), ce qui est toujours suspect.
Je viens de le finir pour la seconde fois (et ce sera probablement la dernière) après y avoir joué il y a presque dix ans, pendant l’été 2012, entre la première et la terminale. A l’époque je profitais des longues journées ennuyeuses du mois de juillet pour poncer des vieux JRPG. J’appelais ça « la cure de RPG de l’été ». Inutile de vous préciser que je n’étais pas parmi les premiers choisis quand il fallait former les équipes de foot.
C’est donc un jeu que j’ai découvert pendant ma grosse période rétro (qui correspond plus ou moins à ma période de forte activité sur le fofo, dédicace aux anciens et bisous sur les fesses des trois loustics qui se reconnaîtront et seront les premiers à répondre) mais qui comme Shenmue m’a un peu plus marqué que les autres. Contrairement à Shenmue, je ne suis pas tombé fou amoureux de Xenogears. C’était un bon JRPG avec une histoire prenante mais ça restait un JRPG : combats aléatoires, boss insupportables, énigmes insolubles sans la soluce sur les genoux, donjons labyrinthiques, la totale. J’avais déjà joué à Chrono Trigger et FFVI à ce moment-là ; je savais qu’un JRPG pouvait s’affranchir de ces conventions un peu moisies (ou au moins les minimiser) et elles me paraissaient donc vraiment pénibles.
J’ai fini le jeu vers septembre (2012) et j’ai laissé la ROM prendre la poussière dans un coin du disque dur. Et puis comme je n’avais rien compris au scénario mais qu’il m’avait l’air quand même pas mal je me suis mis à lire des résumés sur Internet. Et puis j’ai commencé à écouter l’OST dans le bus. Et puis j’ai regardé des rétrospectives Youtube du jeu. Sur les neuf dernières années, il n’a pas dû se passer un mois sans que je ne repense à Xenogears en me disant : « Quand même, c’était bien, je devrais le refaire. » A titre de comparaison j’ai joué à Chrono Cross deux ans plus tard (même ambiance : JRPG PS1 « mythique » sorti en 2000) et je ne le retoucherai jamais. J’ai encore des sueurs froides de certains boss.
Alors pourquoi ? Qu’est-ce qui me ramène à cette galette alors que je ne suis plus un joueur régulier, alors que je m’étais juré qu’on ne m’y reprendrait plus à configurer l’émulateur PS1 pour abandonner la partie au bout de deux heures ?
Réponse : il est beaucoup plus intéressant de penser à Xenogears que d’y jouer. C’est un jeu avec une ambition scénaristique que je n’ai jamais vue dans un autre jeu. L’histoire couvre une période de 10 000 ans. Il y a au moins quatre antagonistes majeurs. Chacun a son plan précis et c’est un festival de trahisons, de manipulations et de tricheries. Je vous résume les enjeux de façon simple et incomplète :
- Dieu est mort (point Nietzsche) et les méchants veulent le ressusciter, chacun pour arriver à des fins différentes ;
- Sauf que Dieu n’est pas Dieu, c’est simplement une arme de destruction massive qui a créé la vie et favorisé son évolution après un crash interstellaire qui l’a salement amochée ;
- Sauf qu’il y a un vrai Dieu, mais celui-ci s’en fout de l’humanité, c’est une entité qui appartient à une autre dimension, s’est retrouvée coincée dans celle-ci et veut se barrer ;
- Le héros du jeu est la dernière réincarnation du premier homme, seul survivant du crash interstellaire dont je parlais plus haut. Son destin est de tuer Dieu (le faux) et de libérer Dieu (le vrai) ;
- Ce héros souffre d’un trouble de personnalités multiples en version anime japonais. C’est-à-dire qu’il a un alter ego surpuissant et méchant qui prend le contrôle de son corps aux moments les plus inopportuns ;
- Il va s’en sortir grâce au pouvoir de l’amour, son âme sœur étant aussi la dernière réincarnation de la première femme et promise elle aussi à une destinée extraordinaire ;
- Des robots géants sont crucifiés à un moment du jeu. Cela ne sert aucun but scénaristique mais permet d’activer ce que j’appelle la « jurisprudence Evangelion » : les références aux symboles du christianisme font gagner quatre points de style dès la première utilisation.
J’ai résumé l’essentiel mais je ne vous ai pas parlé de Krelian, de Grahf, de l’empereur Caïn, de la quête de puissance de Ramsus ou du rôle de Miang. Tous sont pourtant des acteurs majeurs du scénario. Et je ne vais même pas rentrer dans le détail des sous-intrigues qui constituent pourtant l’essentiel du jeu : la reconquête d’Aveh, la fuite de Nortune, les histoires croisées des nations de Shevat et de Solaris, l’Ethos… Toutes ces préoccupations remplissent les quarante premières heures de jeu (le premier disque) et se révèlent finalement insignifiantes comparées aux enjeux cosmiques qui occupent les dix dernières (le second disque).
Le lecteur un peu attentif aura remarqué qu’il y a un énorme écart de temps de jeu entre les deux disques. L’explication est très simple : Xenogears cesse d’être un jeu vidéo à la fin du disque 1. Par manque de temps (et non de budget comme tout le monde l’a cru pendant 20 ans), l’équipe de développement a charcuté le second disque qui se résume à une pelletée de cinématiques (où il faut quand même appuyer sur X toutes les cinq secondes pour faire avancer le texte, on est sur PS1), trois donjons inintéressants, quelques combats de boss et une seule pauvre quête annexe (mais qui est un des meilleurs passages du jeu).
Je rappelle que tous les enjeux majeurs du scénario sont relégués à ce deuxième disque : après quarante heures de jeu, l’objectif principal de Xenogears est de mettre fin au règne tyrannique du pays de Solaris. Après quarante-cinq heures, l’objectif est de tuer Dieu pour sauver ce qui reste de l’humanité. Autant vous dire que le rythme de la dernière partie est complètement anarchique. Si on ajoute à la complexité intrinsèque du script la fâcheuse tendance qu’ont les méchants à parler par ellipses (vous voyez la Seele dans Evangelion ? C’est la même chose !), les flashbacks qui n’ont de sens que vingt ou trente heures après leur apparition, les termes dont la signification n’est jamais expliquée clairement (« Persona », « Antitype », « Temps de l’Evangile », « Projet M », j’en passe et des meilleures) et le fait que le jeu lâche toutes les informations vraiment utiles à coups de cinématiques de trente minutes, il est évident que le scénario est absolument incompréhensible à moins d’y réfléchir tranquillement pendant une dizaine d’années (et de lire des récapitulatifs en anglais). J’ai parlé de la Grande Purge menée 500 ans avant les évènements du jeu et de la mort tragique de Sophia ? Ah non…
C’est pour ça que je ne peux pas honnêtement recommander Xenogears alors que je me suis bien amusé pendant cette seconde partie. Mais le plaisir que j’en ai tiré est un plaisir de connaisseur, le plaisir de quelqu’un qui comprend les implications de chaque ligne de dialogue et qui peut apprécier les ramifications interminables de cet anime de science-fiction. Car oui, même si ce n’est pas immédiatement évident tant le jeu empile les artifices, Xenogears n’est dans le fond qu’un anime de science-fiction avec un vernis de références culturelles et religieuses. J’ai pas mal insisté sur la comparaison avec Evangelion et les similitudes sont vraiment trop nombreuses pour ne pas les relever. Mais là où Evangelion réussit à transcender sa structure initiale en devenant un drame psychologique et un hymne à l’amour et à la bonté humaine (j’aime énormément les fameux épisodes 25 et 26), Xenogears reste un anime japonais avec des méchants aux cheveux longs et lisses, des maîtres d'art martiaux amnésiques, l'amour qui fleurit sur le champ de bataille, des cris, des pleurs, des sacrifices et des grands discours sur la faiblesse de l’homme qui est en réalité sa force. Et ce n’est pas en me servant d’épaisses tartines de références au gnosticisme ou au courant de pensée existentialiste que je vais me laisser berner : ça ne prend plus, j’ai déjà joué à Metal Gear Solid.
Pourtant, malgré ses défauts, j’ai encore beaucoup d’affection pour Xenogears. Mais comme pour MGS, ce n’est pas uniquement de la nostalgie. Ce que je respecte énormément dans cette œuvre, comme pour Shenmue, c’est sa sincérité. Xenogears est un jeu qui a des tripes. Xenogears est le fruit d’une créativité exceptionnelle, celle de deux scénaristes (Tetsuya Takahashi et sa femme Soraya Saga) qui avaient lu un nombre astronomique de livres de sociologie, de philosophie, de psychologie et voulaient essayer de retranscrire les idées qui les avaient marqués dans un jeu vidéo. Mais ils étaient aussi fans de Gundam et de romans de SF, et ils voulaient regrouper tout ce qu’ils aimaient dans un seul projet. Cela explique les mechas et le ton général un peu foutraque du jeu. C’est le syndrome Hideo Kojima et même si c’est un peu raté, c’est profondément attachant. Le premier Metal Gear Solid est d’ailleurs un peu comparable à Xenogears, en beaucoup plus accessible et mieux charpenté. Ils n’ont pas la même structure, mais les deux jeux sont animés par la même ambition : fondre en une oeuvre nouvelle une immense somme d'influences et d'idées accumulées pendant une vie. L’un se vend à sept millions d’exemplaires et génère une série emblématique du jeu vidéo, l’autre s’appelle Xenogears.
Les fans de Xenogears aiment bien hurler « Square Enix ! Pondez-nous un remake et finissez le disque 2 ! » Heureusement, ça n’arrivera jamais. Comme Shenmue, Xenogears est un vestige d’une époque révolue, celle de la fin du Far West. Une époque où de gros studios pouvaient financer des projets qui sortaient des sentiers battus et organiser un semblant de campagne médiatique autour ; des projets qui en dépit de leurs défauts monstrueux renfermaient plus de chaleur et d’inventivité que tout ce qui est sorti des crèmeries d’Ubisoft depuis 2008 (tacle facile, qu’on me pardonne). Puis Shenmue a ruiné Sega, la PS2 est sortie, et le jeu vidéo à gros budget a emprunté la pente tranquille et silencieuse qui mène à Watch Dogs Legion.
Je n’ai pas parlé de la direction artistique phénoménale du jeu, qui se sert d’angles de caméra ingénieux et d’ersatz de plans séquences pour faire oublier qu’on regarde des décors en 3D moches et des sprites de personnages affreusement pixellisés. Certains passages de Xenogears témoignent d’une maîtrise de la cinématographie bien plus aboutie que ce que faisait le père Hideo à la même époque. Je n’ai pas parlé de la bande-son qui correspond dans l’ensemble à ce qu’on peut attendre d’un JRPG de la fin des années 90 mais s’autorise quelques instants de grâce comme « The Beginning and the End » qui fait intervenir un chœur de chanteurs traditionnels bulgares ou « Omen » qui parvient à susciter une angoisse mystérieuse avec une mélodie presque simpliste. Je n’ai pas parlé du gameplay parce qu’on s’en fout et que la soluce sur les genoux est encore le meilleur moyen de jouer à Xenogears.
Posons la fausse question pour donner à ce qui précède l’apparence d’une vraie review : faut-il jouer à Xenogears en 2021 ? Si vous êtes sensible à tout ce que j’ai écrit sur la démarche artistique, la sincérité, la recherche de l’expression vraie de soi grâce à l’art, pourquoi pas. Evidemment c’est allô Gamefaqs au moindre puzzle imbécile. Cherchez également sur Google « Ether Doubler Aerods » et « Xenogears Deathblow Guide » et ne me remerciez pas. Si mon pavé vous semble trop long et que vous aimez les bons jeux vidéo, pas la peine de télécharger ePSXe. Mes élucubrations suffisent.
Je viens de le finir pour la seconde fois (et ce sera probablement la dernière) après y avoir joué il y a presque dix ans, pendant l’été 2012, entre la première et la terminale. A l’époque je profitais des longues journées ennuyeuses du mois de juillet pour poncer des vieux JRPG. J’appelais ça « la cure de RPG de l’été ». Inutile de vous préciser que je n’étais pas parmi les premiers choisis quand il fallait former les équipes de foot.
C’est donc un jeu que j’ai découvert pendant ma grosse période rétro (qui correspond plus ou moins à ma période de forte activité sur le fofo, dédicace aux anciens et bisous sur les fesses des trois loustics qui se reconnaîtront et seront les premiers à répondre) mais qui comme Shenmue m’a un peu plus marqué que les autres. Contrairement à Shenmue, je ne suis pas tombé fou amoureux de Xenogears. C’était un bon JRPG avec une histoire prenante mais ça restait un JRPG : combats aléatoires, boss insupportables, énigmes insolubles sans la soluce sur les genoux, donjons labyrinthiques, la totale. J’avais déjà joué à Chrono Trigger et FFVI à ce moment-là ; je savais qu’un JRPG pouvait s’affranchir de ces conventions un peu moisies (ou au moins les minimiser) et elles me paraissaient donc vraiment pénibles.
J’ai fini le jeu vers septembre (2012) et j’ai laissé la ROM prendre la poussière dans un coin du disque dur. Et puis comme je n’avais rien compris au scénario mais qu’il m’avait l’air quand même pas mal je me suis mis à lire des résumés sur Internet. Et puis j’ai commencé à écouter l’OST dans le bus. Et puis j’ai regardé des rétrospectives Youtube du jeu. Sur les neuf dernières années, il n’a pas dû se passer un mois sans que je ne repense à Xenogears en me disant : « Quand même, c’était bien, je devrais le refaire. » A titre de comparaison j’ai joué à Chrono Cross deux ans plus tard (même ambiance : JRPG PS1 « mythique » sorti en 2000) et je ne le retoucherai jamais. J’ai encore des sueurs froides de certains boss.
Alors pourquoi ? Qu’est-ce qui me ramène à cette galette alors que je ne suis plus un joueur régulier, alors que je m’étais juré qu’on ne m’y reprendrait plus à configurer l’émulateur PS1 pour abandonner la partie au bout de deux heures ?
Réponse : il est beaucoup plus intéressant de penser à Xenogears que d’y jouer. C’est un jeu avec une ambition scénaristique que je n’ai jamais vue dans un autre jeu. L’histoire couvre une période de 10 000 ans. Il y a au moins quatre antagonistes majeurs. Chacun a son plan précis et c’est un festival de trahisons, de manipulations et de tricheries. Je vous résume les enjeux de façon simple et incomplète :
- Dieu est mort (point Nietzsche) et les méchants veulent le ressusciter, chacun pour arriver à des fins différentes ;
- Sauf que Dieu n’est pas Dieu, c’est simplement une arme de destruction massive qui a créé la vie et favorisé son évolution après un crash interstellaire qui l’a salement amochée ;
- Sauf qu’il y a un vrai Dieu, mais celui-ci s’en fout de l’humanité, c’est une entité qui appartient à une autre dimension, s’est retrouvée coincée dans celle-ci et veut se barrer ;
- Le héros du jeu est la dernière réincarnation du premier homme, seul survivant du crash interstellaire dont je parlais plus haut. Son destin est de tuer Dieu (le faux) et de libérer Dieu (le vrai) ;
- Ce héros souffre d’un trouble de personnalités multiples en version anime japonais. C’est-à-dire qu’il a un alter ego surpuissant et méchant qui prend le contrôle de son corps aux moments les plus inopportuns ;
- Il va s’en sortir grâce au pouvoir de l’amour, son âme sœur étant aussi la dernière réincarnation de la première femme et promise elle aussi à une destinée extraordinaire ;
- Des robots géants sont crucifiés à un moment du jeu. Cela ne sert aucun but scénaristique mais permet d’activer ce que j’appelle la « jurisprudence Evangelion » : les références aux symboles du christianisme font gagner quatre points de style dès la première utilisation.
J’ai résumé l’essentiel mais je ne vous ai pas parlé de Krelian, de Grahf, de l’empereur Caïn, de la quête de puissance de Ramsus ou du rôle de Miang. Tous sont pourtant des acteurs majeurs du scénario. Et je ne vais même pas rentrer dans le détail des sous-intrigues qui constituent pourtant l’essentiel du jeu : la reconquête d’Aveh, la fuite de Nortune, les histoires croisées des nations de Shevat et de Solaris, l’Ethos… Toutes ces préoccupations remplissent les quarante premières heures de jeu (le premier disque) et se révèlent finalement insignifiantes comparées aux enjeux cosmiques qui occupent les dix dernières (le second disque).
Le lecteur un peu attentif aura remarqué qu’il y a un énorme écart de temps de jeu entre les deux disques. L’explication est très simple : Xenogears cesse d’être un jeu vidéo à la fin du disque 1. Par manque de temps (et non de budget comme tout le monde l’a cru pendant 20 ans), l’équipe de développement a charcuté le second disque qui se résume à une pelletée de cinématiques (où il faut quand même appuyer sur X toutes les cinq secondes pour faire avancer le texte, on est sur PS1), trois donjons inintéressants, quelques combats de boss et une seule pauvre quête annexe (mais qui est un des meilleurs passages du jeu).
Je rappelle que tous les enjeux majeurs du scénario sont relégués à ce deuxième disque : après quarante heures de jeu, l’objectif principal de Xenogears est de mettre fin au règne tyrannique du pays de Solaris. Après quarante-cinq heures, l’objectif est de tuer Dieu pour sauver ce qui reste de l’humanité. Autant vous dire que le rythme de la dernière partie est complètement anarchique. Si on ajoute à la complexité intrinsèque du script la fâcheuse tendance qu’ont les méchants à parler par ellipses (vous voyez la Seele dans Evangelion ? C’est la même chose !), les flashbacks qui n’ont de sens que vingt ou trente heures après leur apparition, les termes dont la signification n’est jamais expliquée clairement (« Persona », « Antitype », « Temps de l’Evangile », « Projet M », j’en passe et des meilleures) et le fait que le jeu lâche toutes les informations vraiment utiles à coups de cinématiques de trente minutes, il est évident que le scénario est absolument incompréhensible à moins d’y réfléchir tranquillement pendant une dizaine d’années (et de lire des récapitulatifs en anglais). J’ai parlé de la Grande Purge menée 500 ans avant les évènements du jeu et de la mort tragique de Sophia ? Ah non…
C’est pour ça que je ne peux pas honnêtement recommander Xenogears alors que je me suis bien amusé pendant cette seconde partie. Mais le plaisir que j’en ai tiré est un plaisir de connaisseur, le plaisir de quelqu’un qui comprend les implications de chaque ligne de dialogue et qui peut apprécier les ramifications interminables de cet anime de science-fiction. Car oui, même si ce n’est pas immédiatement évident tant le jeu empile les artifices, Xenogears n’est dans le fond qu’un anime de science-fiction avec un vernis de références culturelles et religieuses. J’ai pas mal insisté sur la comparaison avec Evangelion et les similitudes sont vraiment trop nombreuses pour ne pas les relever. Mais là où Evangelion réussit à transcender sa structure initiale en devenant un drame psychologique et un hymne à l’amour et à la bonté humaine (j’aime énormément les fameux épisodes 25 et 26), Xenogears reste un anime japonais avec des méchants aux cheveux longs et lisses, des maîtres d'art martiaux amnésiques, l'amour qui fleurit sur le champ de bataille, des cris, des pleurs, des sacrifices et des grands discours sur la faiblesse de l’homme qui est en réalité sa force. Et ce n’est pas en me servant d’épaisses tartines de références au gnosticisme ou au courant de pensée existentialiste que je vais me laisser berner : ça ne prend plus, j’ai déjà joué à Metal Gear Solid.
Pourtant, malgré ses défauts, j’ai encore beaucoup d’affection pour Xenogears. Mais comme pour MGS, ce n’est pas uniquement de la nostalgie. Ce que je respecte énormément dans cette œuvre, comme pour Shenmue, c’est sa sincérité. Xenogears est un jeu qui a des tripes. Xenogears est le fruit d’une créativité exceptionnelle, celle de deux scénaristes (Tetsuya Takahashi et sa femme Soraya Saga) qui avaient lu un nombre astronomique de livres de sociologie, de philosophie, de psychologie et voulaient essayer de retranscrire les idées qui les avaient marqués dans un jeu vidéo. Mais ils étaient aussi fans de Gundam et de romans de SF, et ils voulaient regrouper tout ce qu’ils aimaient dans un seul projet. Cela explique les mechas et le ton général un peu foutraque du jeu. C’est le syndrome Hideo Kojima et même si c’est un peu raté, c’est profondément attachant. Le premier Metal Gear Solid est d’ailleurs un peu comparable à Xenogears, en beaucoup plus accessible et mieux charpenté. Ils n’ont pas la même structure, mais les deux jeux sont animés par la même ambition : fondre en une oeuvre nouvelle une immense somme d'influences et d'idées accumulées pendant une vie. L’un se vend à sept millions d’exemplaires et génère une série emblématique du jeu vidéo, l’autre s’appelle Xenogears.
Les fans de Xenogears aiment bien hurler « Square Enix ! Pondez-nous un remake et finissez le disque 2 ! » Heureusement, ça n’arrivera jamais. Comme Shenmue, Xenogears est un vestige d’une époque révolue, celle de la fin du Far West. Une époque où de gros studios pouvaient financer des projets qui sortaient des sentiers battus et organiser un semblant de campagne médiatique autour ; des projets qui en dépit de leurs défauts monstrueux renfermaient plus de chaleur et d’inventivité que tout ce qui est sorti des crèmeries d’Ubisoft depuis 2008 (tacle facile, qu’on me pardonne). Puis Shenmue a ruiné Sega, la PS2 est sortie, et le jeu vidéo à gros budget a emprunté la pente tranquille et silencieuse qui mène à Watch Dogs Legion.
Je n’ai pas parlé de la direction artistique phénoménale du jeu, qui se sert d’angles de caméra ingénieux et d’ersatz de plans séquences pour faire oublier qu’on regarde des décors en 3D moches et des sprites de personnages affreusement pixellisés. Certains passages de Xenogears témoignent d’une maîtrise de la cinématographie bien plus aboutie que ce que faisait le père Hideo à la même époque. Je n’ai pas parlé de la bande-son qui correspond dans l’ensemble à ce qu’on peut attendre d’un JRPG de la fin des années 90 mais s’autorise quelques instants de grâce comme « The Beginning and the End » qui fait intervenir un chœur de chanteurs traditionnels bulgares ou « Omen » qui parvient à susciter une angoisse mystérieuse avec une mélodie presque simpliste. Je n’ai pas parlé du gameplay parce qu’on s’en fout et que la soluce sur les genoux est encore le meilleur moyen de jouer à Xenogears.
Posons la fausse question pour donner à ce qui précède l’apparence d’une vraie review : faut-il jouer à Xenogears en 2021 ? Si vous êtes sensible à tout ce que j’ai écrit sur la démarche artistique, la sincérité, la recherche de l’expression vraie de soi grâce à l’art, pourquoi pas. Evidemment c’est allô Gamefaqs au moindre puzzle imbécile. Cherchez également sur Google « Ether Doubler Aerods » et « Xenogears Deathblow Guide » et ne me remerciez pas. Si mon pavé vous semble trop long et que vous aimez les bons jeux vidéo, pas la peine de télécharger ePSXe. Mes élucubrations suffisent.
A l'année prochaine, des bisous!
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